Actualité / Infrastructure

Nikon et le fétichisme

14 octobre 2008

Ecrit par Emmanuelle Gore, le point de vue d'une lectrice

Du fait de la dépréciation de la technologie et de la fameuse loi de Moore, l’appareil photo numérique est de nos jours considéré comme un consommable. Alors que je naissais lors du lancement de cette technologie en 1980, je laisse défiler aujourd’hui avec effroi les centaines d’images mitraillées ça et là puis transférées sans sourciller vers mon ordinateur.

A croire que l'avenir de la photographie ne passera plus que par un disque dur. Déjà, cette année, le Nikon D700 "full frame" de 12.1 Mpixels s’arrache au prix de 2600 € sans optique. Le consommateur ne tremble même pas en caisse sachant pertinemment que dans quelques années ce produit ne vaudra plus que 10% de sa valeur.

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Emmanuelle Gore

N'était le contexte, on reléguerait sans remords ce succès au rang d'épiphénomène dérisoire. Mais ce phénomène commercial fait toucher du doigt l'un des principaux facteurs de la faible résistance de l’argentique face à la dématérialisation : les voyages de plus en plus fréquents, les divorces ou autres séparations nous livrant au caprice impérieux d’échanger instantanément les images petit dernier apprenant à faire du vélo…

L’on constate amèrement qu’autrefois le seul morceau de papier pictural était est facteur de valeur pour le consommateur par le seul fait qu'il matérialisait la photo sous la forme d'un objet. Il lui permettait de se l'approprier, de l'investir de désir et de sens, de l’afficher.
À cet égard, la dimension emblématique et symbolique d'une vieille photo jaunie au fond du tiroir de nos grands-parents suffit-elle à susciter l’émoi ? Cet objet, si fétiche pour nos aïeux, aussi bien que la promesse d'heures de contemplations…D'autant qu’à l'heure où le cycle de vie de la photo comme marchandise touche à son terme, il lui confère la dimension d'un monument funéraire célébrant la fin du règne sans partage d’une photo argentique développée sur le marché de la photo virtuelle.

Espérons que proclamer la mort de la photo argentique telle qu’on l’a connue d’autant au moment de l’essor des appareils photos embarqués sur téléphones mobiles ou webcams ne revient pas à prophétiser l'avènement d'une dématérialisation totale et définitive du tout…au rien.
Que les grands industriels se le disent : il s'agit de prendre acte des changements sociétaux récents. La photo n’a plus de temps ni de lieu : au sein du foyer, dans la rue, au travail, elle établit une continuité entre tous les moments d'une vie de plus en plus fragmentée. À cette complexité croissante répond une multiplication de moyens de transporter ces photos : lecteurs MP3, cadres photos et porte-clefs numériques…

Cette diversification des besoins a donc appelé une complexification de l'offre, et donc du modèle économique, afin d'embrasser tous les types de formats. Ce mouvement de diversification ne laisse plus beaucoup de chance aux photographies classiques. La multiplicité de grands sites Internet et entreprises de « développement » numérique prouvent que beaucoup sont déjà conscients des enjeux.
Personnellement, l’émotion ne me gagne absolument pas lorsque défilent devant mes yeux dix ou douze prises de vues identiques. A l’heure où l’œil ne découvre plus le monde qu’à travers une lentille, où est passée la joie du développement surprise ?

Auteur

Frédérick Warembourg